journal posthume

Le cœur hideux

J’ai toujours été profondément dégouté par le mépris que l’on a à l’égard de la femme et je me posai la question quand il advint que je vécus un dialogue assez troublant, voire interpellant, et ce avec une certaine personne dont je tairai ici le nom. Ce qui compte après tout, c’est l’esprit de la chose que je développerai présentement. Parlons de synchronicité, de coup du hasard, il n’en reste pas moins que cela advint. L’on me fit le récit bien cruel des aveux d’une personne qui revenait de loin.

Elle raconta sa chute terrifiante, ses déboires dans les tréfonds sordides de son psychisme. Elle le fit avec une telle lucidité que l’on se demandait comment elle avait pu vivre pareil cauchemar. Je ne dévoilerai pas son enfer, mais ses propos firent l’effet d’une révélation qui me laissa stupéfait. Il y a avait de l’honnêteté dans ses confidences.

Non ! ne considérez pas ces dires comme une simple confession, car, il fut le pire des proxénètes : il prostitua sa mère, sa sœur et sa propre fille. Il fit étalage de leur corps sur les réseaux sociaux, les étala comme de vulgaires corps. Il était allé si loin dans son éclatement psychique et mental qu’il ne voyait plus en elle des gens de sa famille. Il s’agissait juste de corps, d’objets sexuels. Il en vint à dire, non sans éprouver pour lui-même une sorte d’abjection personnelle : tous les corps se valaient. Toute cette hiérarchie des corps exposés, de la jouissance la plus triviale, au règne des sens les plus épouvantables, m’avaient complétement dépourvus du moindre sentiment de filiation. Pour moi, aucun humain n’était humain. Tout était chair, luxure, source jubilatoire de plaisir, de rut et d’égoïsme, le plus éhonté qui soit. Un véritable étalage brisant les digues, non pas de la décence, mais de l’humain. Tel un drogué, j’avais sombré dans une totale négation de l’homme pour assouvir plaisirs de la chair, obscénités, désordres et concupiscences en tout genre. C’est quand ma mère sombra dans la folie la plus démentielle, qu’elle tua sa propre fille que je me réveillai du plus sordide des cauchemars. Je prie conscience du dérèglement de l’humanité, de son commerce sexuel sans borne, de sa plus inhumaine attitude, du règne démoniaque qui sévit aujourd’hui, au vu et au su de tous, sans que personne n’y trouve plus rien à redire. Les hommes vendent leur mère, leur fille, leur sœur, leur frère sans plus aucune espèce de discernement, d’empathie, de considération. L’homme déteste jusqu’à son humanité qu’il détruit jour après jour, sans même comprendre qu’il corrompt tout de ses mains hideuses.

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L’odeur

Édouard semble débonnaire et paradoxalement austère. Il est souvent silencieux, mais quand il prend la parole, je l’écoute. Toujours ! Il y a en lui un frère. C’est indéniable. Je sais qu’il n’aime pas que je l’évoque. Il se transforme alors en véritable tortue. Pourtant, hier, quand je lui lus un passage d’un écrit sur internet, il me répondit aussitôt ceci : Il est des âmes pures. Elles sont très rares, mais, il en existe encore. Alors, je lui demandai : Comment reconnais-tu ces âmes ? Comment es-tu certain qu’elles soient pures ? Parce que je le vis de l’intérieur, me répond-t-il. Parce que c’est une vérité qui vient percer le cœur et non l’agiter. Être vrai est une pureté. Il s’agit aussi d’un tout. Alors, je poursuivis mes questions : Mais, c’est quoi d’être vrai ? Comment déterminer qu’une chose soit vraie et qu’une autre soit fausse ? Il se mit à rire. Il plissa ses petits yeux comme de coutume et me déclara : C’est une question d’odeur.

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Perroquet

La vie, ce sacre, cette intention pure, le rayonnement du symbole et du symbolisé. Tu n’aimes pas et comment peux-tu aimer si l’amour n’est pas sacré ? Comment protègeras-tu tes louveteaux, tandis que tu couves un arbre et son ruisseau, sans même les distinguer ? La vie, cette obélisque, hommage au ciel et à la terre, ces délices qu’une peau lisse semée de beauté et d’évidence pourfend la forme et la substance et s’éloigne des querelles des minables. Non ! je ne crois pas en un amour qui ne voit pas le grand Amour. Ta haine est la tienne. Aujourd’hui, je la vois. Mais, sais-tu ? Cela m’indiffère; car dans le fond, tu es bien pauvre et insignifiante. Tu n’as des mots que la maîtrise d’une langue qui clapote dans le bec d’un perroquet.

Non classé

Thésée

Mi-homme mi-taureau, dégringolade aux enfers, les ténèbres d’un double aveuglement, civilisation délétère, cravatée par l’outrance moderniste, propagation des soubresauts de la dernière vague, tuerie des mentaux pétrifiés, combien Thésée tarde à mener l’ultime bataille contre la bête ! Ce monde n’hésite pas une seule seconde à défendre son poison, un vin altéré, maudit des dieux, impuni des hommes, la débâcle d’une Babylone ; que ferait Suburre ? Rougirait-elle de sa propre tiédeur face à l’immondice des quartiers pullulants du monde ? Cette bête en nous, contrefaçon de l’homme, la lie, l’imposture nauséabonde. De la nature, j’ai appris à voir ce que valent les mensonges déversés depuis longtemps dans le cœur des hommes. Je ne crois pas en la bête. Celle-ci, minotaure des déversoirs de luxure, bannissant l’homme, le chassant de son humanité, chute mémorielle. Pourtant, Thésée possède une arme et je gage qu’il la réserve à la bête du monde entier.

Instantané

Orchidée

Des heures caricaturales,
Un couplet pour l'heure,
De l'hérésie d'un profane,
Sculpture opale,

Je m'en vais saillir ce bosquet,
Ruer comme un forcené,
Les flammes de notre cœur,
Sacrilège et fermeté.

Quand as-tu épousé notre violence ?
Les heures du silence et de l'apogée,
Fredonnent à ta voix les galbes de ta fureur,
Blasphème oratoire à hurler,

Et ton temps est compté,
Sur les flancs de mon corps,
Je t'ai invitée obséquieuse et nymphale,
Les eaux de ton orchidée.
journal posthume

Les étoiles

Photographie de Nikita Poleshchuk

Durant des heures, avec Mathilde, Isabelle et Édouard nous observons le ciel. Pas de lanterne ! Nous nous réchauffons avec du café ou du thé. En ce moment, le ciel parle beaucoup. Marthe et Claudine sont reparties dans le pays du Languedoc. Leur finesse et leur jovialité nous manquent. Elles ont étudié l’astronomie et même se sont intéressées à l’astrologie. Univers ancestral et féerique. J’ai beaucoup appris avec elles. Quand sereine, Chantelle (nous l’appellerons ainsi) refermait le livre, elle s’en allait, elle disparaissait dans les pensées les plus mystérieuses. Je ne pouvais rien y faire. Elle s’échappait. Comme j’aurais aimé entrer dans ses rêves ! Comme j’aurais aimé lui dire qu’elle m’impressionnait ! Je me suis toujours senti le pire des frustres. Une rocaille pétrifiée. A-t-elle su transpercer mon âme ? Je ne sais pas vivre sans elle et pourtant je continue… Ses silences me hantent. Ses mots me hantent. Sa fragilité et sa force me manquent. Son aura me manque. Son univers, sa présence. Pourtant, elle est là et aucune femme ne peut la remplacer. Fou, je le suis! Je la cherche partout. Je la vois partout. Même les étoiles ont son langage. Tout cela est un terrible mystère.

Instantané

Rareté

La rareté devenue source de joie,
L'atrocité, laideur dissonante,
Démembrements sordides d'ébriété,
Les ronces dévorent ton cœur émietté,
Mais je n'irai pas dans ce qui se casse,
Porcelaine de laine, écheveaux de bois.
Je ne mangerai pas à la table des lâches,
Je ne mangerai pas à la table rase,
Ceux qui font des mots cocasses,
Des bribes de n'importe quoi.
Sache-le, la laideur a ses limites,
Et je n'irai pas chez toi.
Je ne boirai pas de tes sens,
Ils ont raidi mon ventre,
Ils ont froidi mon élan vivace,
Je n'irai pas sur ton toit,
Ni ne mangerai à la soupe de tes morsures,
Du pullulement de tes limitations,
J'irai plutôt vers ceux qui ne parlent pas,
Sache-le, tu ne m'intéresses pas.
journal posthume

Hédonisme, épicurisme et stoïcisme, partie 2

Il est bien difficile de sortir des sentiers battus. Il est bien difficile de faire l’apologie du plaisir, car, n’est-il pas l’antinomie du Bonheur ? Le plaisir de déguster savamment, avec la bouche en cul de poule, des mets trempés dans l’égoïsme le plus éhonté. Non ! Je dis : non ! Le monde moderne, le bâtard, l’avorton, à peine tétanisé par l’air le plus vicié, l’homme corrompu, qui se dissout dans la flasque masse, quantité nerveuse et pathologiquement apathique, cerveau détrempé dans les acides aminés raréfiés, ce monde moderne d’une pauvreté à nous hisser hors de nous-même est le monde du mélange et de la confusion. Le plaisir, cet appauvrissement des sens, cette mécanisation de la vie, est la parfaite manifestation de l’indécent individualisme. Ici, l’on confond plaisir et Bonheur. Autant parler d’une singulière diarrhée qui se déverse, à force de trop de consommation, dans les cuvettes de notre insouciance. Autant évoquer, sans le moindre scrupule, notre égoïsme tartufe, celui des pleutres et des analphabètes mentaux. Quel gargarisme ! Se racler la gorge et cracher. Mais où pouvons-nous déverser notre nausée ? Stoïque attitude, dignité surfaite, posture yogique du corps et de l’esprit. Nous ne changerons pas le monde. Vaine promesse ! Nous plantons notre tremblant étendard de détresse ou bien est-ce enfin de la sagesse ?

Instantané

Diagonale

Du sable intransigeant,
Allons donc ce pressentiment,
Au terrier de nos engagements,
Visible est notre flétrissure,
Mais, de la diagonale,
Mes mots n'ont rien amputé.
Les folies d'un loup de mer,
Je te suis pas à pas,
A l'ombre d'une fougère,
Récit de mes pas indolents,
Les mains plongeant jusqu'aux vagues,
Je te veux présente,
Assise sous un arbre,
Parlant savamment de nos constellées amantes.
Je te veux étrange et limpide,
Bruissée de nos silences,
Quand ton regard puise,
Au lointain d'une tourelle,
Je te veux profonde et exquise,
Marchant droit alors que frissonne le doux matin.  
Instantané

Vaisseau de nuit

Le vaisseau de nuit,
Sans embrun ni fragments,
La beauté de l'instant.

Fracassée de ces mots,
L'eau susurre, 
Les yeux nervures,
Le songe d'un lendemain.

La lumière jette un clair-obscur,
Pourquoi ces brisures,
Implantées dans les mots sans fin ?

Viens ! ma chair auprès de mes jours,
Cherche mes noirceurs,
Mon indécise césure,
La brume de mon cœur.