
Quand j’étais petit, j’aimais jouer à la bataille navale, jeu de stratégie très basique, mais autrement stimulant pour le garçon que j’étais. Je fus fasciné par tous les jeux de stratégie. Avec mes frères, l’équilibre était précaire. Nous étions trois : il y en avait toujours un de trop. Alors, notre mère vénérable se dévouait et devenait volontiers l’un des joueurs manquants. Elle fut toujours présente. Elle remplaçait le père absent. Mais, comme nous lui avons fait la vie rude ! Nous étions tous les trois des conquérants de l’espace, y compris celui de l’espace sonore. Elle nous attrapait et nous disait en chuchotant : Que vont dire nos voisins ? Comme nous habitions face aux jardins des plantes, nous étions souvent en sortie. Je crois que je connais par cœur ce lieu. Son odeur très spécial, ses pierres, ses plantes, ses arbres. Quand nous avions soif, nous courrions à la fontaine nous désaltérer. Vivre le départ d’un frère avant l’heure, a eu raison des dernières résistances de notre mère. Elle est partie le rejoindre, quelque part dans un autre espace inconnu. Pourquoi, ai-je parlé des stratégies ? Ce jeu, immanquable qu’est la vie est aussi une grande stratégie qui se déploie et qui a sa lecture. Je le sais aujourd’hui. Cela apaise-t-il mes douleurs ? Oui, d’une certaine façon. Cela me rend plus humain. L’humain que j’avais perdu en cours de route.