journal posthume

Corps

Un homme oublie volontiers son corps. Il oublie les circuits intérieurs, les tubes digestifs, les alvéoles, les cellules et le sang qui coule, comme par miracle, dans les veines. La peau s’allège en vieillissant, et au naturel, le visage d’une femme, nimbé de vie, nous raconte les pays traversés, les émouvantes larmes, le chemin dépoussiéré, au creux des roches. Un homme oublie volontiers la complexité de sa machine organique, fasciné par les technologies qui ne sont que de pâles copies. Abrupt, le corps nous parle et il est tantôt montagnes, tantôt surfaces lisses, prairies nacrées, ruissellement de temps et éternité mouvante. En cet instant, je me souviens. Présent d’un langage basique, mais d’une haute voltige. Je palpe les rides d’une mère, les prémices d’une peau de velours, le rire de pêche d’un nouveau né, et la soie ivre des jours alanguis de femme suave. L’homme oublie volontiers la source originelle de telles émanations de vie. Une main, éclairée de jour, la présence de jade et le toucher translucide.

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Le poisson sort de son bocal

le fait d’être autre que ce nous croyons être est en soi une belle perspective et elle mérite d’être prise en compte, puisque nous sommes des êtres périssables et nous sommes passés par tous les stades émotionnels, celui de nos idées et de nos actes. Ne pas savoir ce que nous sommes revient, dans le fond à se contenter du bocal que nous pensons être un océan. Bien sûr, le cancre dira : tant pis. Je ne comprends rien et je n’ai pas envie de comprendre. Tant mieux ou tant pis pour lui ! Mais que fait un poisson qui se réveille et se souvient d’une vaste étendue d’eau ? D’ailleurs, pourquoi se souvient-il ? Ces poissons m’intriguent. Ils me fascinent même.

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Connais-toi !

Quand l’homme ne se connaît plus, qu’il est sans cesse dans l’acquis, il n’est pas loin de sombrer. Celui qui se contente des émotions en enfilade s’est accroché à la coquille. Celui qui s’accroche à la coquille est voué à disparaître. Aller jusqu’au bout, c’est se laisser guider par l’invisible, par l’esprit des choses. Celui qui s’identifie à ses émotions, celui qui s’identifie à ses images est un être figé. D’où nous vient d’écrire ? D’où nous vient de poser les mots comme autant de jalons sur une voie que l’on ne connaît pas ? D’où nous vient d’être ? La superficialité, le fait de ne pas se connaître fait de nous des êtres à-demi… Le connais-toi est la pierre fondatrice de tout homme. Les cancres ne cherchent qu’à masquer leur ignorance. Quel brouillard ! Quelle nuée ! Nous revenons de loin. Beaucoup se pensent évolués parce qu’ils portent des costumes à leur image. Des prétentions de l’écriture et des prétentions à l’Art. L’âme est inspirée. Le travail à la Flaubert, suée sang et eau engendre un art mécanique, alors que les écrivains d’aujourd’hui n’arrivent même pas à sa cheville. Maupassant s’était bien aperçu de l’autre face cachée avec son Horla. L’hypocrisie de certains est manifeste. Faite donc du yoga à la place ! Les supermarchés de l’écriture, ainsi que les supermarchés spirituels sont les mêmes. Poésie de gare, et mots égarés. Je crois à l’inspiration. C’est l’entre-deux. C’est le temps de l’apnée et c’est le temps du vivant. Seulement, l’on confond instantanéité avec instant. L’on confond inspiration avec mécanicité. Rétrogradation de l’homme. C’est un constat définitif, mais non fermé. Connais-toi, bon sang !!!

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Remonter le courant

Remonter le courant clair des rivières, remonter à la source et victoire ! Ne plus se laisser rampant sur un sol stellaire, y cueillir une ondée, une gloire. Une femme fait un homme et un homme fait une femme. Il cogne ce nouveau cœur, il cogne et vient se ressourcer à la voix étrange d’une âme, forgée d’écume et de flamme. La lumière d’un cœur, d’un seul cœur dans la nuit, et les jours sont soudain ce saumon nageant depuis la mer, bravant mille et une roches séculaires. Dans l’aspérité d’une transpiration, à tes écailles flamboyantes, sur les feux du soleil grisant, le voyage devient, certes, une épopée.